Ce n’est pas tout d’obtenir une position gagnante sur l’échiquier : encore faut-il effectivement gagner la partie ! Je te donne 6 principes que tous les forts joueurs utilisent pour piloter leur partie jusqu’à la victoire une fois qu’ils ont obtenu une position gagnante.
En effet, combien de fois as-tu obtenu une position gagnante que tu n’as finalement pas gagné ? Ce fameux sentiment à la fin d’une partie, quand tu te dis : « Ah, mais j’étais sur le point de gagner ! » : il t’est peut-être familier ? 😊
Eh bien, saches que tu es loin d’être le seul ! De très nombreux joueurs ont déjà vécu ce moment de solitude après avoir joué une bonne partie, obtenu une position gagnante, mais échoué ensuite à gagner la partie.
Le problème avec les positions gagnantes est qu’elles ne se gagnent pas toutes seules en mode « pilote automatique ». TU dois être le pilote et emmener cette position gagnante jusqu’à destination, c’est-à-dire jusqu’à l’abandon de l’adversaire.
Et comme l’a si bien dit l’ancien champion du monde Emanuel Lasker, c’est ce qui est le plus dur aux échecs.
Les positions d’échecs les plus difficiles à gagner sont les positions gagnantes.
Emanuel Lasker (1868-1941)
Mais voilà : il existe bel et bien des règles, à connaître absolument, que les forts joueurs appliquent aux échecs pour convertir les positions gagnantes en parties gagnées.
Je les partage avec toi dans cet article. Allons-y !
Sommaire
Rester concentré jusqu’à la fin de la partie
Ce conseil peut paraître évident mais nous sommes humains : quand on a un avantage écrasant, quand on sait que la position est gagnante, on a tendance à se relâcher et ne plus donner le meilleur de soi-même. Pire, on peut même parfois éprouver un sentiment de colère face à un adversaire qui n’abandonne pas. On se laisse alors emporter par ses émotions et on commence à jouer des coups impulsifs car on se dit « plus besoin de réfléchir, tous les coups sont gagnants ».
Inversement, l’adversaire est souvent extrêmement motivé car il n’a plus rien à perdre. Au lieu de baisser les bras, il va se concentrer au maximum, chercher la moindre « arnaque » tactique et opposer la plus grande résistance possible.
Il arrive alors souvent que la victoire promise à un joueur lui échappe : voici un exemple concret vu en compétition.
Ainsi, même si la position paraît écrasante et facile à gagner, il ne faut pas céder à la tentation de se relâcher ou de s’emporter contre son adversaire. Au contraire, il faut absolument renforcer sa vigilance et se forcer à rester concentré jusqu’au bout ! En particulier, continuer à prêter attention aux ressources défensives du camp adverse est crucial. Garde en mémoire la citation suivante du grand maître international Paul Kérès qui loue les mérites d’une résistance opiniâtre face à un attaquant qui croit la partie déjà terminée.
Une défense acharnée ne redresse pas forcément une situation compromise, mais elle a le mérite de créer sous les pas de l’adversaire toutes sortes d’embûches qui lui compliquent la tâche. La pratique démontre que le joueur qui se croyait déjà gagnant commet souvent l’erreur qui le frustre de sa victoire. Une seule devise pour l’attaqué : se battre jusqu’au bout de toutes ses forces !
Paul Kérès (1916-1975)
Si cette devise est valable pour l’attaqué… elle est aussi valable pour l’attaquant ! La première règle est donc de se battre jusqu’au bout de toutes ses forces : la partie n’est pas terminée tant que les feuilles de partie ne sont pas signées.
Éviter les complications tactiques
L’adversaire est dans les cordes. Tu es gagnant. Ton avion se dirige vers sa destination finale, le moment où l’adversaire abandonne. Que peut-il arriver à ton avion ? Quelque chose d’imprévu. Aux échecs, on appelle ça une gaffe ou une grosse erreur.
Et dans quel type de position a-t-on le plus de chances de faire une grosse erreur ? Si tu réponds « dans les positions compliquées », tu as tout compris 😊.
La deuxième règle est donc logique : il s’agit d’éviter les complications et de simplifier la position.
Voici un exemple avec les blancs au trait.
Les noirs viennent de placer leur tour en e8 pour menacer un échec à la découverte. Mettre le roi blanc à l’abri semble naturel, mais faut-il plutôt effectuer un petit roque ou un grand roque ? Remarque bien que les blancs ont un cavalier de plus !
Qu’en penses-tu ?
Dans des circonstances normales, il serait tout à fait pertinent d’effectuer un grand roque pour ensuite lancer une attaque à l’aile-roi en utilisant le fou blanc en d3 braqué sur le roque noir. Mais si on rentre dans une position avec des roques opposés, le combat devient plus compliqué et plus tranchant ! Une position avec des roques opposés est exactement ce dont rêvent les noirs dans cette position.
La réponse correcte est donc de roquer du petit côté et de garder ainsi les choses simples.
Échanger les pièces, pas les pions
Plus il y a de pièces sur l’échiquier, plus la partie est complexe et plus grandes sont les chances de commettre une gaffe. Échanger les pièces est donc une manière directe de simplifier la partie et d’obtenir une position plus facilement gagnante.
En revanche, il vaut mieux éviter d’échanger les pions si on dispose d’un avantage matériel :
- Si on dispose d’une pièce de plus (par exemple un cavalier), une finale avec roi+cavalier+pions contre roi+pions est très facile à gagner, mais une finale sans pions comme roi+tour+cavalier contre roi+tour est une nulle théorique. Il vaut donc mieux échanger les pièces tout en gardant les pions sur l’échiquier.
- Si on dispose d’un pion de plus, une finale sans pièces avec uniquement les rois et des pions est usuellement facile à gagner. À l’inverse, si tous les pions ont été échangés sauf un, par exemple une position roi+tour+cavalier+pion contre roi+tour+cavalier, le camp avec le pion de moins peut défendre plus aisément en sacrifiant son cavalier contre le pion et obtenir une nulle théorique roi+tour+cavalier contre roi+tour. De nouveau, il vaut donc mieux échanger les pièces tout en évitant les échanges de pions.
D’un point de vue pratique, il est particulièrement efficace d’échanger les dames. Même avec du matériel en plus, les finales avec les dames sur l’échiquier sont particulièrement complexes à gagner car la dame adverse peut lancer une attaque de mat ou une série d’échecs perpétuels contre ton roi. Certains préconisent également d’échanger les cavaliers au plus vite car ce sont des bêtes piégeuses et qu’une fourchette désagréable et imprévue de cavalier ruinant une position gagnante est vite arrivée.
Voici un exemple de simplification gagnante avec les blancs au trait.
Garder le roi en sécurité
Alors que ton avion se dirige vers sa destination finale, l’abandon de l’adversaire, d’autres événements malencontreux sont susceptibles de se produire. Par exemple le pilote de l’avion peut avoir une crise cardiaque en plein vol. Aux échecs on appelle ça se faire mater 😊.
Tu avais une dame, une tour, un fou et trois pions en plus, mais tu te fais mater ? Personne ne réagira, y compris l’arbitre ou la plateforme de jeu en ligne sur laquelle tu jouais aux échecs. Maté c’est perdu 😢.
Donc, il faut absolument garder le roi en sécurité !
Cela signifie souvent qu’il faut renoncer à gagner davantage de matériel si il y a un risque pour la sécurité du roi. En effet, imagine que tu as 1 million d’euros. Est-ce que tu risquerais de perdre ce million juste pour gagner dix mille euros de plus ?
J’espère que tu as répondu « non » 😊. Et pourtant, aux échecs, c’est ce qui arrive à la plupart des débutants dans des positions gagnantes. Par exemple ils ont déjà une tour de plus, mais ils prennent un risque démesuré pour gagner un pion de plus.
Voici un exemple concret avec les blancs au trait.
Sacrifier ses pièces avec précaution
Dans des positions équilibrées, il est tout à fait sain d’envisager des sacrifices pour obtenir une forte attaque ou des compensations positionnelles. En revanche, dans les positions gagnantes, il faut changer d’approche. En effet, rappelle-toi bien : il faut éviter les complications !
Il s’agit d’une erreur courante que l’on peut observer chez nombre de joueurs : ils ne résistent pas à leur désir de sacrifier à tout prix un pion ou une pièce. Le résultats des courses est qu’ils rentrent tête baissée dans des positions compliquées, ce qui est exactement ce que le joueur en train de perdre cherchait à obtenir.
Voici un exemple vu en compétition où le trait est aux noirs.
Qu’il n’y ait pas de malentendu : il ne s’agit pas de ne jamais sacrifier. Seulement, tes sacrifices doivent toujours être basés sur un calcul solide des variantes.
Prendre des décisions pragmatiques
Si je devais garder seulement 2 astuces sur les 6 que je te donne, ce serait Éviter les complications et celle-ci Prendre des décisions pragmatiques !
Dans une position gagnante, les coups qui sont objectivement les meilleurs d’après un logiciel d’échecs ne sont pas toujours les meilleurs d’un point de vue pratique pour un humain. Typiquement, c’est quelque chose que les logiciels d’échecs ne comprennent pas : ils choisissent un chemin direct mais compliqué pour gagner alors qu’un chemin plus long mais plus simple existe.
Il est facile de donner un exemple : on a une pièce de plus, et le choix numéro 1 donné par l’ordinateur est d’aller gagner une qualité supplémentaire en négligeant complètement l’attaque sur son propre roi. En effet, l’ordinateur est capable de calculer à l’avance 10 coups de défense très précis de suite qui permettent de casser l’attaque adverse. Mais nous sommes humains : on ne fonctionne pas comme ça !
Sur l’analyse de partie de certaines plateformes de jeu en ligne, des coups de gain pragmatiques seront même marqués comme des « erreurs » ou des « gaffes » alors qu’ils gagnent de manière plus simple que ce que propose l’ordinateur.
Voici un exemple.
Bilan : peut-on toujours gagner aux échecs ?
Il est impossible de couvrir toutes les nuances et exceptions des positions gagnantes mais j’espère que ces astuces te permettront de convertir 90% ou plus des positions gagnantes en gain effectif de la partie.
Pourquoi pas 100% me diras-tu ?
Eh bien, parce que même les grands maîtres et les plus forts joueurs d’échecs au monde ne gagnent pas toutes les positions gagnantes qu’ils obtiennent !
Particulièrement en blitz ! Il existe une partie célèbre où le grand maître Vassili Ivantchouk échoua à trouver un mat simple en un coup face au champion indien Viswanathan Anand. Ivanchouk avait déjà atteint le rang de numéro deux mondial à l’époque de cette partie !
Donc quand il t’arrivera à nouveau de ne pas gagner une position gagnante dans le futur… ne sois pas trop dur avec toi-même !