♟Propositions de nulle aux échecs : comment les exploiter ?

En partie d’échecs, pourquoi proposer nulle donne-t-il une information utile à ton adversaire ? À l’inverse, comment exploiter les propositions de nulle de ton adversaire pour en tirer un avantage ? C’est ce que je te propose de découvrir dans cet article.

un dessin d'un homme et d'une femme qui jouent aux échecs et qui se serrent la main en signe d'acceptation d'une partie nulle. La couleur de l'image est majoritairement bleu, blanc et noir. Le fond de l'image est de couleur unie.

« Je propose nulle » : une spécificité du jeu d’échecs

Les règles du jeu d’échecs établies par la Fédération Internationale Des Échecs (FIDE) sont claires : « la partie est nulle en cas d’accord mutuel entre les deux adversaires au cours de la partie ». Il est même précisé que la manière le plus correcte de proposer nulle est de le faire après avoir joué un coup sur l’échiquier et avant d’arrêter sa pendule et de déclencher la pendule adverse. L’offre de nullité doit être notée par chaque joueur sur sa feuille de partie avec un symbole, usuellement le symbole (=). Il est possible de proposer nulle plusieurs fois au cours d’une même partie, mais il ne faut pas en abuser car il est interdit de distraire ou de déranger son adversaire de quelque manière que ce soit, y compris en effectuant un trop grand nombre d’offres de nulle injustifiées.

Une feuille de partie d'échecs avec des coups et des offres de nulles notées sur la feuille
Extrait d’une feuille de partie avec une proposition de nulle (=) au 28ème coup acceptée par les blancs

Ces règles sont très spécifiques aux échecs et n’existent tout simplement pas dans beaucoup d’autres disciplines ou sports : ainsi, on n’imagine pas un match de football avec un score actuel de zéro-zéro où les deux équipes décideraient à la mi-temps aux vestiaires de faire nulle et ne retourneraient pas sur le terrain pour jouer la deuxième mi-temps ! Mais c’est pourtant bien possible aux échecs : il est possible d’arrêter la partie par commun accord avec son adversaire quasiment à tout moment pendant la partie. Il est donc important de tenir compte de cet élément pendant les parties car cela va affecter la manière dont nos parties se déroulent et donc nos résultats et nos performances en tant que joueur d’échecs.

Penser à la nulle, une distraction à la réflexion

Que l’on propose soi-même la nulle ou que l’on reçoive une offre de nulle, la proposition de nulle constitue une distraction qui entrave la réflexion sur les éléments de jeu les plus importants : la position que l’on a sous les yeux, son temps restant à la pendule et le coup que l’on se prépare à jouer !

En effet, quand on commence à envisager de proposer nulle, on va souvent hésiter et se poser plein de questions :

  • Est-ce que proposer nulle, c’est vraiment ce que je veux faire là maintenant ?
  • Est-ce qu’il vaut mieux que je propose nulle maintenant ou bien dans quelques coups ?
  • Que va penser mon adversaire ? Comment va-t-il réagir ?
  • Y-a-t-il plus de chances que mon adversaire accepte si je propose nulle maintenant ou bien plus tard ?
  • Etc.

Réfléchir à toutes ces questions prend du temps précieux à la pendule qui ne sera pas consacré à calculer des variantes et trouver un bon coup. Pire, cela pollue notre réflexion de joueur au global, particulièrement quand on n’est déjà pas au clair soi-même sur l’évaluation de la position et sur comment continuer, par exemple quand on hésite entre prendre des risques ou bien jouer plus tranquillement. On ne consacre plus toute son énergie à jouer du mieux qu’on le peut car on est distrait par cette possibilité de peut-être pouvoir finir la partie immédiatement.

À l’inverse, nous sommes également impactés quand notre adversaire nous propose nulle. Alors que nous sommes en pleine réflexion, en train de calculer des variantes tactiques, de se demander comment poursuivre une attaque ou bien quelle stratégie adopter en finale, voilà qu’une information supplémentaire à traiter nous tombe dessus : notre adversaire nous propose nulle. Avec cette nouvelle information arrive une flopée de questions qui peuvent à nouveau parasiter notre réflexion :

  • Qu’est-ce que je fais de cette proposition de nulle ?
  • Est-ce qu’il y a une intention cachée derrière cette proposition de nulle ? Est-ce que mon adversaire essaie juste de me déstabiliser ?
  • Mon adversaire a plus ou moins de classement elo par rapport à moi, qu’est-ce que ça veut dire sur cette proposition de nulle ?
  • Etc.

La proposition de nulle peut dans ce sens être utilisée par certains joueurs comme une arme psychologique pour déstabiliser leurs adversaires, particulièrement quand on a peu de temps à la pendule. En effet, on réfléchit davantage quand on reçoit une proposition de nulle car il faut allouer du temps non seulement à la réflexion de base sur la position et la recherche du meilleur coup, mais aussi à la réflexion d’accepter ou non l’offre de nulle.

Pourquoi proposer nulle revient à dire « j’ai peur »

Tentons d’analyser mentalement ce qui se passe lors d’une proposition de nulle. Réfléchis par toi-même : quand tu proposes nulle… qu’est-ce qu’il se passe ? Dans quelles situations est-ce que tu proposes nulle ? Essaie de te souvenir de parties que tu as jouées récemment : pourquoi as-tu proposé nulle ? Comment te sentais-tu à ce moment là ?

Dans la majorité des cas, la réponse est simple et bien souvent la même : on propose nulle parce qu’on n’est pas à l’aise, parce qu’on ne sent pas bien. Peut-être même on se sent mal dans la position, on pense qu’on est moins bien, on pense qu’on va perdre. Allons même plus loin : fondamentalement, proposer nulle revient à dire « j’ai peur ». Ça peut être une grosse peur ou une petite peur, cette peur peut être justifiée par un élément objectif ou non, mais le fait est qu’on propose rarement nulle quand on se sent en confiance, gagnant ou en position de force dans la partie. On propose plutôt nulle quand quelque chose ne va pas et qu’on désire supprimer ce malaise en abrégeant la partie immédiatement.

Prendre conscience de cette association « proposer nulle » = « dire que j’ai peur de quelque chose » va avoir des implications concrètes dans tes parties. Quand un adversaire te propose nulle, il n’y a pas de raisons que cela ait un sens différent pour lui que pour toi : cela veut dire que ton adversaire a peur de quelque chose, qu’il n’est pas serein, que quelque chose le dérange. À ce stade on ne sait pas forcément ce dont il s’agit. On le comprendra peut-être, ou pas, mais dans tous les cas, l’adversaire ne se sent pas bien. C’est plutôt une bonne chose pour nous ! C’est plutôt cool ! Cela nous donne un avantage et cela nous aide à nous sentir plus serein et en confiance.

À l’inverse, réaliser que proposer nulle revient à envoyer le message « j’ai peur » à mon adversaire ne peut que t’inciter à arrêter de proposer nulle quand, justement, tu te sens moins bien au cours d’une partie. Peut-être tu es objectivement moins bien dans la partie ou bien tu as moins de temps que ton adversaire à la pendule. Mais dans cette situation, proposer nulle revient à souligner à ton adversaire le fait que tu ne te sens pas bien, comme si tu lui faisais un coucou de la main en pleine partie pour lui dire « Hey regarde ! Je ne me sens pas bien !« .

Que faire en pratique ?

Il existe certaines situations particulières aux échecs où la proposition de nulle a une utilité :

  • quand la position ne peut que finir en nulle à cause de la règle des 50 coups sans poussée de pions ni capture et que l’on souhaite s’épargner de jouer une cinquantaine de coups inutiles : par exemple dans des positions comme roi+cavalier contre roi+fou, roi+tour contre roi+tour, etc. ;
  • quand on joue en compétition par équipe et que pour sécuriser un résultat pour l’équipe (la nulle ou le gain du match), le capitaine d’équipe nous demande de proposer la nulle ou d’accepter une offre de nulle.

En dehors de ces situations particulières, je recommande de ne jamais proposer nulle et de ne jamais accepter une proposition de nulle adverse. Voici le résumé des arguments pour tirer le maximum de bénéfices d’une telle approche :

  • Il est important de jouer des longues parties pour progresser en tant que joueur d’échecs. Or, les nulles par consentement mutuel nous privent d’expériences significatives de jeu qui ont davantage de valeur sur le long terme que les simples points elo que l’on peut gagner à faire nulle par consentement mutuel contre un adversaire mieux classé.
  • Une des raisons pour laquelle tant de joueurs d’échecs proposent ou acceptent une nulle par accord mutuel est parce qu’au fond de nous… nous avons tous peur de perdre ! Évidemment, cela fait mal de perdre si on investit du temps et des efforts à essayer de progresser aux échecs : non seulement on obtient zéro point à la suite de la partie, mais en plus on se sent comme un « raté ». Bien sur, ce n’est pas le cas, mais nous sommes humains et pendant une partie, nous pouvons succomber à tout un tas d’émotions comme cette « peur de perdre ». La meilleure attitude pour lutter contre cette peur est d’accepter que les défaites sont inévitables (même un des meilleurs joueurs de son temps, le multiple champion du monde Magnus Carlsen, perd des parties de temps en temps) et de prendre chaque défaite comme une opportunité pour apprendre et corriger un défaut de son propre jeu.
  • Finalement, en éliminant une bonne fois pour toute les tentations parasites de finir une partie immédiatement avec une offre de nulle par consentement mutuel, tu te concentres sur le plus important : la réflexion sur la position sous tes yeux, le coup que tu t’apprêtes à jouer et la gestion de ton temps à la pendule. Encore mieux, tu interprètes finalement les propositions de nulles adverses exactement pour ce qu’elles sont : des aveux de faiblesse d’une personne qui aimerait bien que la partie s’arrête tout de suite… Avoue que ce serait dommage de lui donner exactement ce qu’elle désire, non ?

J’espère que toutes ces informations te permettront de mieux gérer les offres de nulle de tes adversaires dans tes futures parties !

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